Le fédéralisme ne doit pas finir en musée

 

Pour les conseiller-ères d’Etat soucieux de faire avancer leurs dossiers au plan fédéral, l’année commence invariablement par le séminaire annuel des cantons. Ce grand raout rassemble chaque première semaine de janvier, à Interlaken, tous les membres des exécutifs cantonaux. 

Chaque début d’année, durant trois jours, ce sont ainsi quelque 150 conseillers et conseillers d’Etat, chancelières et chanceliers, qui se retrouvent en conclave pour traiter des questions de gouvernance. Mais aussi pour évoquer des thèmes d’actualité qui concernent tous les cantons, souvent de façon transversale. 

Dans notre système fédéral, l’échelon cantonal est central du point de vue de la Constitution. Ses prérogatives sont jalousement observées, autant par la Confédération qui tend de plus en plus à empiéter sur celles-ci, que par les cantons eux-mêmes. Ces derniers voient leur marge de manœuvre fondre comme neige au soleil, notamment au profit de l’échelon intercantonal avec ses nombreuses conférences à 26, dans des domaines aussi variés que la formation, la sécurité, la santé, l’énergie ou encore... la chasse. 

Où réside encore la souveraineté des cantons?

Pour ma huitième participation consécutive, je constate que ce type de rencontres est toujours aussi utile pour développer des contacts informels avec des collègues que l’on a pour une fois tous «sous la main». C’est aussi un moment privilégié pour prendre le pouls de problèmes de terrain, ressentis aussi bien dans les villes que dans les campagnes. L’instant est également opportun pour trouver, ensemble, les solutions les plus adéquates dans le grand laboratoire législatif qu’est notre confédération de 26 petits États censés rester souverains. 

Mais c’est là que le bât blesse: la souveraineté. En huit ans, j’ai pu mesurer chaque année la perte progressive de marge de manœuvre cantonale dans les domaines cités plus haut. Cette année, c’est la santé qui est à l’honneur et les diverses conférences données par des collègues ou des experts montrent toutes que la capacité d’action des cantons, pris individuellement, est très faible. Pour payer, en revanche, on reste très fédéralistes. Genève le subit de plein fouet.

Autrement dit, j’ai chaque année davantage l’impression que les membres des exécutifs cantonaux sont poussés à appliquer dans leur zone administrative cantonale des directives imposées d’en haut, issues de processus plus ou moins démocratiques. Où réside encore la souveraineté des cantons? Les différences de taille démographique, de capacité financière ou de réalités sociales la rendent de plus en plus relative.

L’union fait la force, l’identité demeure

Je l’évoquais il y a quelques années, lors d’un projet - hélas avorté - de fusion de cantons: l’union fait la force, sans nécessairement provoquer une perte d’identité. Dans cet esprit, l’application rationnelle du principe de subsidiarité doit s’imposer. Les prestations publiques que l’on doit offrir à la population ne peuvent plus s’inscrire dans un cadre institutionnel dépassé, pour ne pas dire anachronique.

L'actualité récente nous a donné un exemple de la nécessité à renforcer l'échelon cantonal quand il s'agit de prestations essentielles à la population. Le fait que les cantons s'avèrent souvent impuissants à éviter que des retraité-e-s soient mis à la porte de leur logement est intolérable. Pour la dignité de ces personnes âgées touchées par une forme de violence institutionnelle, et même si le droit du bail est une prérogative fédérale, les cantons devraient pouvoir intervenir à temps afin d'éviter des drames. Dans de tels cas, un renforcement du pouvoir des cantons devrait être envisagé.

Dans notre société de l'information, les réseaux ont plus que jamais leur sens, à condition que leurs acteurs aient réellement le pouvoir de déployer dans un espace donné une politique publique qui produise des résultats tangibles. Et, de toute évidence, l’échelon cantonal voit chaque année sa substance cantonale s’évaporer un peu plus dans un brouillard administratif, dont plus grand monde ne maîtrise ni la finalité politique ni les effets concrets sur la population.

Pour agir plus efficacement, il faudra un jour avoir le courage d’empoigner ce problème, sous peine de ne plus réunir à Interlaken que des «gardiens de musée». Le musée du fédéralisme.

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