Le rôle de l'Etat dans la régulation des plateformes de service

 

Le Parlement genevois statuera vendredi prochain sur ma proposition d’encadrer l’activité des plateformes de service hôtelier du type d’AirBnB, en obligeant ses acteurs à jouer le jeu d’une concurrence loyale, en se déclarant et en payant la taxe touristique. En parallèle, un autre acteur du tourisme et de la mobilité a récemment été déclaré hors la loi sur le territoire genevois. Selon l’office en charge de l’inspection du travail, il existerait un lien de dépendance entre Uber et les personnes qui l'utilisent pour conduire des client-e-s. Pourtant, ces personnes revendiquent ouvertement le statut d’entrepreneurs-euses. Et à ce jour, la justice suisse ne leur a pas reconnu la qualité de salarié-e. Cette option radicale prise à Genève peut surprendre à l'heure où la société étend toujours plus son offre de service dans d'autres cantons (Uber eats, application horaires de bus) et quand le gouvernement cherche plutôt à encadrer l’offre des plateformes de service.

Après l'annonce en ce début de mois de l'intention d’interdire l’activité d'Uber, qui pose de nombreuses questions (rétroactivité, égalité de traitement, bonne foi de l’administration, etc.), il est utile de se rappeler que la nouvelle législation en matière de transport, votée à une large majorité incluant les partis de gauche, visait à mettre fin à un imbroglio administratif de plusieurs décennies et à des inégalités de traitement entre prestataires de service. Dans ce contexte, L'Etat doit absolument veiller à trouver une solution pour que la situation ne précarise pas les chauffeurs (hommes et femmes) VTC, en particulier ceux qui n'ont aucune alternative.

A Genève, les taxis ont toujours constitué un abcès de fixation. En raison notamment de guerres intestines récurrentes, le secteur n'a pratiquement pas connu de renouvellement ces dernières décennies. Pour les usagers et usagères, la situation - unanimement reconnue - s'est traduite par une péjoration du service avec une flotte vétuste et mal entretenue, des chauffeurs souvent dépassés et parlant peu ou pas l'anglais, etc. L'arrivée d'Uber à Genève, à l'automne 2014, a bouleversé la donne en offrant de la complémentarité à l'offre "traditionnelle". Or, cette complémentarité qui s'est traduite par une démocratisation du prix des courses, n'a pas aplani les tensions entre acteurs du secteur. Elle a en revanche permis de monter le niveau d’une prestation essentielle dans le domaine du tourisme, pour l’image de la ville.

Une concurrence encadrée par l'Etat

La nouvelle Loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur (LTVTC), entrée en vigueur à l'été 2017, après deux ans de travaux parlementaires et sans référendum, a également rétabli la cohérence dans un secteur tourmenté, et clarifié les différents rôles au sein d'une profession en crise. Elle a permis à TaxiPhone, Uber, Lymo et autres Driven de se développer, sans avoir à se quereller pour exister. Au passage, elle a aussi eu le mérite de rappeler à Uber le respect des règles, incitant au final les acteurs historiques à améliorer leur service de transport de personnes (nouvelles applications, lecteurs de cartes de crédit, etc.). 

Reste que la menace de l’interdiction d'Uber touche aujourd'hui des chauffeurs respectueux de la loi. L'Etat devrait en principe les soutenir, tout en respectant leurs choix de carrière. En effet, nombreuses sont les personnes à Genève qui ont besoin d'un substitut de salaire ou qui peinent à intégrer le marché du travail dans des emplois qualifiés. Et si certains chauffeurs Uber ont révélé publiquement leur chiffre d'affaires (entre 6000 et 8000 francs par mois), il ne faut pas se méprendre car il s'agit des plus chanceux. En moyenne, l’activité VTC permet plutôt de générer un chiffre d’affaires de 27 francs de l’heure (après déduction des frais de service d’Uber), selon un récent article paru dans Le Temps. Et pour le surplus, beaucoup parmi les chauffeurs Uber se sont endettés en achetant leurs véhicules en leasing.

L'Etat doit protéger les chauffeurs

D'ailleurs, ceux-ci aimeraient s'acquitter personnellement de leurs charges, même si la cotisation est plus élevée en tant qu'indépendant. Mais ils se voient refuser ce choix par la Suva qui estime que ces derniers sont des salariés et qu’Uber doit assumer des obligations patronales, alors que la justice zurichoise tarde depuis 2017 à trancher la question du statut des chauffeurs VTC. Par ricochet, la question de l’indépendance se pose pour les chauffeurs de taxis « traditionnels ». Sur question d’un député, le Conseil d’Etat genevois a recommandé d’attendre la décision de justice pour se déterminer sur le statut réel des bonbonnes jaunes. Deux poids, deux mesures ? Pour l’heure, la décision de l’OCIRT ne vise qu’une seule et unique entreprise, alors que la question du statut se pose pour d'autres entreprises.

Par conséquent, il ne faut pas se tromper de cible. Genève ne résoudra rien à interdire les nouvelles plateformes de travail, présentes dans la plupart des autres métropoles. C'est sur le terrain politique que nous devons engager nos efforts. Protéger les chauffeurs en encadrant leur activité tout en exigeant des plateformes de respecter le droit fédéral, sans entraver la liberté économique, dans l’esprit de la loi que j’ai fait passer en 2017 et qui doit maintenant déployer ses pleins effets. Si nous nous contentons de freiner et de nous arcbouter sur nos prés carrés, Genève perdra un peu plus de son attrait. Il en ira de même pour les plateformes hôtelières.

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