Premiers retours de permanence


Genève était calme entre Noël et Nouvel An, tout comme la première semaine de janvier qui a suivi. Calme mais pas sereine. Car si l’activité courante n’avait pas encore vraiment repris ces dix derniers jours, l’inquiétude était palpable pour qui n’avait pas le privilège de passer des vacances en montagne. Sur fond de préannonces fédérales peu réjouissantes, l’atmosphère au sein de nombreuses branches économiques genevoises oscille entre colère et désespoir. C’est dans ce contexte que j’ai ouvert à fin décembre une permanence d’écoute, de conseil et de soutien sur les questions économiques. J’ai ressenti en décembre une montée croissante de l’insatisfaction populaire quant au traitement politique de la crise. Et j’ai pu le vérifier en recevant une cinquantaine de personnes depuis le 30 décembre, emblématiques de milliers de situations similaires à Genève.

L’exaspération due aux lenteurs

Premier trait caractéristique des entretiens menés avec des personnes de tous âges et de tous milieux: le sentiment que les autorités n’ont pas pris la mesure de la crise économique existante et de la crise sociale en gestation, en raison des lenteurs de l’administration dans le traitement des demandes. Pour certain-e-s, le versement des RHT et APG est attendu depuis des mois et leur entreprise fait la banque.

Pour d’autres, les lettres officielles de refus d’entrée en matière pour une aide, reçues juste avant Noël sans décision formelle ni explication, sont tombées comme un coup de massue. La sécheresse des formules administratives, et des « lettre sans signature » tranche avec les promesses de versement de novembre. Pour les loyers commerciaux, les indemnisations sont encore en suspens. Or le temps presse.  

Des situations mal évaluées

Il faut dire que chaque nouvelle aide génère en principe des effets bénéfiques mais aussi des effets pervers. Parmi les effets pervers, il y a les effets de seuil qui interdisent arbitrairement la prétention  financière pour un loyer commercial. Par exemple quand on est juste à la limite du barème d’indemnisation et qu’on a droit à rien même si son commerce fait indéniablement partie des enseignes qui ont dû fermer sur décision des autorités. Or l’Etat semble peu enclin à la souplesse dans l’approche des situations individuelles, par essence complexes. L’exemple le plus flagrant, ce sont les salles de sport. En raison de leurs activités, leurs surfaces locatives sont très grandes et donc les loyers très élevés. Ces commerces n’ont pas été comptés dans les cas de rigueur et n’ont eu droit à rien depuis le début de la crise, or ils ont été forcés de fermer. Pourtant, leur rôle social dans le maintien du bien-être et de la santé fait de ces établissements des acteurs essentiels.

Il en va aussi de plusieurs indépendant-e-s ayant dépassé l’âge de la retraite et dont l’activité est objectivement ralentie voir stoppée par les mesures sanitaires, qui ne peuvent prétendre aux APG puisqu’ils/elles sont déjà au bénéfice d’une rente AVS. A l’image de ce serrurier de 68 ans qui a perdu 80% de son chiffre d’affaires avec la fermeture des hôtels - sa clientèle principale - et vit de 1855.- francs de rente AVS mensuelle (en augmentation de seulement 16.- francs par mois depuis le 1er janvier). Sans 2e pilier, sans fortune, mais aussi sans rien coûter d’autre à l’Etat, il ne demande qu’à travailler, ou se voir temporairement indemniser comme cas de rigueur. A défaut, il devra radier sa société crée il y a des décennies, vendre son matériel et son véhicule, et se mettre totalement à l’arrêt pour obtenir l’aide sociale, ce à quoi il se refuse.

La perversité de l’effet domino 

Dans la même veine, plusieurs entrepreneur-e-s rencontré-e-s ces derniers jours m’ont fait aussi état de « l’effet domino » dramatique de la fermeture des commerces en novembre et des établissements publics jusqu’à fin février. De nombreuses sociétés actives dans la production mais aussi la distribution de biens et marchandises sont objectivement prises en étau entre la menace de faillite pour défaut de liquidités, le risque de devoir licencier pour réduire les charges au strict minimum pour survivre, et l’emprunt.

Là aussi, la question de l’accès urgent aux liquidités se pose, avec la réouverture souhaitée d’une deuxième vague de « crédits Covid », comme au printemps dernier. Il en va de milliers d’emplois pour lesquels les RHT - qui privent déjà la plupart des salarié-e-s de 20% de leurs revenus - ne serviront à rien si l’on n’assure pas la structure des entreprises qui les ont embauché-e-s.

Les inégalités en croissance

J’ai aussi été frappé par les nombreux jeunes qui m’ont écrit ou rendu visite. Souvent dotés de tous les diplômes nécessaires, ils/elles n’arrivent pas à obtenir un premier emploi  à un contrat de durée indéterminée. L’exemple d’un jeune homme de 27 ans ayant  fait l’école hôtelière et se retrouvant sans perspective, comme 80% de sa volée, est criant. Son envie de continuer en lançant une entreprise de service de soin en période Covid est exemplaire. Toutes ces initiatives devraient être documentées et soutenues par les autorités.

Idem pour les travailleurs et travailleurs de plus de 50 ans qui peinent à se faire embaucher et dont beaucoup multiplient les activités dans le bénévolat pour ne pas perdre en expérience et se créer un réseau. Toutes ces personnes font preuve d’un courage admirable. Si elles assument beaucoup seules, elle ont aussi besoin d’un soutien concret pour traverser cette crise.

Repenser l’administration

Les solutions sont pourtant possibles. D’abord par un meilleur accès à l’information. Le nombre de Genevois-es qui peinent à accéder à l’information des aides est considérable. A cet égard, l’administration doit pouvoir se décentrer et placer l’usager-et au cœur du dispositif. Ensuite, rares sont les personnes qui sont venues à ma permanence sans esquisser des pistes, parfois intéressantes et plausibles. Je pense notamment des entreprises qui pourraient se voir mettre le pied à l’étrier avec une commande publique mieux organisée et mieux répartie.

Enfin, il m’est apparu très clairement qu’une partie de la solution va résider dans la capacité de ces acteurs économiques en souffrance d’entrer en relation les uns avec les autres pour imaginer de nouvelles façon d’identifier les marchés naissants, les nouveaux besoins et la clientèle en devenir. Et là, je suis optimiste, car l’état d’esprit constructif que j’ai perçu cette semaine chez une majorité de personnes rencontrées est de bon augure.

Au vu de la forte demande, je poursuivrai les permanences pour élaborer des pistes concrètes à destination du Conseil d’Etat. C’est à mon sens la vocation des Autorités d’entendre la population en améliorant la réactivité du service public pour préserver la substance des entreprises. Par ailleurs, l’Etat devrait également faciliter les initiatives de citoyen-ne-s pour soutenir la création d’emplois. Service et soutien, en somme la vocation de l’Etat en permanence.

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