Pour une mobilité raisonnable et durable

Vendredi dernier, le département des infrastructures achevé de compliquer la vie des différents usagers de la route. Il l'a par ailleurs fait sans véritable concertation au sein du Conseil d’Etat. Le préalable aurait été de réaliser un plan de mobilité cohérent, basé sur une concertation élargie.

Nombreux/ses sont les entrepreneur-e-s qui m’ont remonté ces dernières semaines leur exaspération des bouchons qui asphyxient les rues de Genève depuis le déconfinement. Des chef-fe-s d’entreprise ou des indépendants-e-s mais aussi de très nombreux/ses employé-e-s qui mettent parfois plus de 2 heures pour traverser la ville en rejoignant chaque matin leur travail, et idem en rentrant chez eux/elles le soir.

Et la grogne vire à la colère avec l’annonce récente de la prolongation des mesures provisoires, voire de leur pérennisation, sur fond de créativité "peinturluresques"... La raison officielle de tout ce chambardement routier : le COVID-19! «Pour accompagner efficacement et en toute sécurité la reprise des activités économiques et sociales», dixit le communiqué du département des infrastructures de vendredi dernier.

Les vélos s’émancipent 

Le message du département est peu cohérent: il somme de reprendre les transports publics, tout en incitant à passer au vélo ou à la marche à pied, en réservant les boulevards. Ce faisant, la vie des automobilistes est inextricablement compliquée: les deux-roues motorisés sont poussés sur les pistes jaunes, le réseau routier secondaire saturé, les transports publics sont parfois bloqués, etc.

C’est pour «éviter un engorgement généralisé du trafic qui serait nuisible à toute l’économie», lit-on encore dans la récente communication départementale. Le problème, c’est que ça ne tient pas la route - c’est le cas de le dire. Le canton n’avait pas connu pareille gabegie depuis longtemps sur son réseau routier et, cela, malgré les vigiles privés appelés en renfort pour faire la circulation.

La mobilité doit être partagée

Qu’on me comprenne bien: je ne conteste pas l’intérêt de développer l’usage du vélo en ville. Je défens la pluralité des moyens de transport. Si le vélo électrique est séduisant, il reste extrêmement cher à une majorité de Genevois-es. Si les grosses cylindrées sont attirantes pour certain-e-s, elles devraient être taxées en fonction de leur puissance. En somme, il faudrait pouvoir tenir compte des impératifs économiques d’une ville-centre privée d’un bouclement routier complet. Et sans en faire un instrument coercitif de report modal pour privilégié-e-s.

Quel est le bilan intermédiaire des six premières semaines de ce nouveau régime ? 15 à 20% de vélos en plus sur les axes qui leur sont dévolus, selon les chiffres officiels. Mais quel est le report réel du trafic pendulaire (et pas du trafic citadin) sur les pistes cyclables ? Combien d’accidents? Combien de contrôles de police, pour éviter l’empiètement des espaces? Est-ce que les piéton-ne-s sont suffisamment protégé-e-s par cet envahissement des véhicules de toutes sortes? Quelle évolution de la pollution? Aucune étude n’est en mesure de le dire.

Une exacerbation des conflits

Il paraît que tout ce barnum correspond au cadre fixé en 2016 par la Loi pour une mobilité cohérente et équilibrée (LMCE). En fait d’équilibre, l’émergence des nouveaux moyens de déplacement a surtout exacerbé les conflits car leur coexistence demande des ressources. Et en fait de cohérence, on ne voit pas le début d’une communication claire exposant un plan de mobilité global.

Tout ça s’est fait sans véritable concertation au sein du Conseil d’Etat alors même que la multiplicité des modes de déplacements exigerait un arbitrage de leur utilisation dans l’espace public. Ce n’est ni raisonnable en période d’instabilité économique, ni durable quand ces espaces pour la mobilité grignotent sur les routes et les places de stationnement dont de très nombreux entrepreneur-e-s ne peuvent se passer pour faire tourner leur entreprise.

Le préalable aurait été de réaliser un plan de mobilité impliquant les entreprises genevoises, de proposer des incitations financières au changement de modes de transport individuel, d’imposer le port du masque dans des transports publics appelés à retrouver une fréquentation élevée, de mettre à disposition gratuitement, et comme dans d’autres villes suisses, des vélos ou des trottinettes électriques.

Dans une ville qui est sans doute la dernière d’Europe à ne pas connaître de vélos en libre-service, toute la culture de la mobilité est à revoir. La pandémie que nous traversons offre assurément l’occasion de repenser les modes de déplacement, tout comme elle oblige à reconsidérer les modèles de développement économique. Mais cela ne saurait se faire sans associer la population, et ce toutes classes sociales comprises. 

 

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