Faut-il vraiment sauver la presse?

Déjà fortement fragilisés par la baisse drastique des annonceurs, les journaux sont à présent frappés de plein fouet par la crise économique liée au COVID-19. A des subventions fédérales hésitantes, je préfère un modèle d’aide vertueux et entièrement novateur baptisé MypressGE. 

J’imagine mes contempteurs hurler en lisant le titre de cette nouvelle newsletter. Et pourtant. Indépendamment du traitement que certains journaux ont pris l’habitude de me réserver, usant jusqu’à la corde le narratif d’une procédure judiciaire qui s’éternise, il est des questions qui méritent d’être posées.  

A l’heure où, partout dans le monde, les plans de restructuration s’accélèrent au sein des rédactions, quelques-unes, centenaires, ont annoncé la fermeture pure et simple de leur journal. En effet, les titres, déjà fortement fragilisés par la baisse drastique des annonceurs, ont été frappés de plein fouet par la crise Covid. Certains, parmi lesquels les plus prestigieux, sont en liquidation judiciaire; d’autres font face à la perspective de licenciements massifs, tels qu’annoncés cette semaine dans les médias.

 Pendant le confinement les abonnements numériques ont augmenté significativement. Toutefois, le problème structurel de la presse n’est pas lié à la consommation de l’information. C’est le modèle d’affaire qui doit être revu pour que le secteur ne soit plus à la merci des annonceurs. Or, cette fragilité de la branche a poussé certains groupes à recourir de manière accrue à des journalistes indépendant-e-s. Le remplacement par des professionnel-le-s plus précaires fragilise la situation des rédactions, au sein desquelles beaucoup d’employé-e-s ne sont pas couvert-e-s par une convention collective de travail. 

Les modèles qui fonctionnent comme Mediapart, se sont entièrement tournés sur l’accès du lectorat à un club participatif dont les contenus sont en accès libre. Ce tournant disruptif dans l’offre médiatique s’avère être une piste intéressante pour un nouveau modèle d’affaires. 

Un portail d’information entièrement mutualisé 

Si des discussions sont engagées au niveau fédéral pour une aide directe à la presse, la définition du subventionnement reste aléatoire et l’aide publique est sans garantie. De mon côté, j’ai proposé en août 2018 déjà, le concept MypressGE. L’idée de ce projet était la suivante: développer un soutien aux productions journalistiques basé sur la notion de «mécénat global», soit un modèle mis en place à l’origine pour financer les auteurs d’œuvres musicales téléchargées sur Internet. 

Son principe de base? Créer un catalogue en ligne de journaux, offrant à l’image d’un Spotify le plus large choix possible de titres, en partenariat avec notamment Swisscom, Sunrise et Salt. Cette plateforme d’un nouveau genre, hébergée sur les sites respectifs des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) précités, serait consultable gratuitement, selon le modèle de l’Open Access. 

Favoriser les contenus, cultiver la diversité 

L’aide de l’Etat est ici indirecte, MypressGE étant financé par les lecteurs-trices. Les autorités – ou une entité déléguée mixte – se contentent essentiellement de générer la clé de répartition de ce soutien à la presse, en mettant en place une formule permettant de calculer automatiquement la fraction des contributions destinées à chaque titre. Et cela, de manière totalement équitable, afin d’éviter par exemple que le 20Minutes ne rafle tout et que Vigousse n'ait rien. 

Un des avantages du modèle MypressGE est que les citoyen-ne-s sont pleinement engagé-e-s à choisir et à ne pas seulement consommer. Cela peut concourir – c’est le postulat – à favoriser la diversité de la presse. Ce n’est pas une subvention au papier et à sa distribution mais une subvention au journalisme.  

Pour que ce projet porté par un partenariat public-privé fonctionne, il devra rendre des comptes à un organe de surveillance afin de garantir une information équilibrée. Un média en difficulté, qui appartient à un groupe bénéficiaire, pourrait être présent sur la plateforme, mais le groupe aurait une exigence de transparence financière. Ainsi, l’organe de surveillance devra pourvoir vérifier que l’argent aura bien été affecté à l’information journalistique et que le groupe de presse se sera engagé à signer une convention collective de travail.  

Innover, c’est considérer le changement comme une opportunité       

Cette approche participative permettrait aussi aux journaux de survivre en augmentant les audiences et en impliquant toutes les parties prenantes. Cette voie mérite d’être explorée. En proposant un tel modèle, l’Etat répondrait aux attentes des lecteurs-trices souhaitant obtenir des informations auprès d’un éventail de sources diversifiées et toujours actives.  

Ce faisant, les autorités cantonales s’engageraient dans la formation de l’opinion; consolideraient la volonté démocratique de participation à la vie sociale et politique en permettant aux citoyen-ne-s d’être bien informé-e-s. Elles garantiraient en outre un droit à l’information, tel que figurant à l’article 28 al.4 de la Constitution genevoise: «Toute personne a droit à une information suffisante et pluraliste lui permettant de participer pleinement à la vie politique, économique, sociale et culturelle».  

L'innovation est la recherche constante d'amélioration de l'existant. Le développement économique, c’est, pour moi, porter cette promesse de l’innovation au service de la collectivité. Alors que l’on soit convaincu ou pas avec ce projet, pourquoi ne pas tenter de le mettre en œuvre? Ne serait-ce que pour la satisfaction d’avoir essayé.

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