Hold-up politique au Conseil d’Etat

 

Suite aux centaines de messages reçus depuis dix jours me faisant part d’une incompréhension des derniers événements relatifs à mon département, je tenais à revenir factuellement sur ce qui s’est passé.

J’ai subitement été la cible d’une démarche de diagnostic RH déclenchée par l’Office du personnel de l’Etat (OPE) à propos de la Direction générale du Développement économique, de la recherche et de l’innovation (DGDERI), sur la base d’un taux d’absentéisme pour maladie supérieur à la moyenne (env. 11% pour 20 ETP) sur la seule période allant de mai 2019 à avril 2020.
 
En réalité, cette démarche a été initiée par les deux plus hauts cadres du département, à la faveur de plusieurs séances tenues avec l’OPE en septembre 2020, qui m’ont été cachées, tout comme le taux transmis pour la période 2019-2020, alors que ces hauts fonctionnaires étaient tenus de me le répercuter, surtout s’ils l’estimaient problématique.
 
Une démarche viciée pour un diagnostic orienté
 
Le jeudi 1er octobre dans l'après-midi, ma collègue Nathalie Fontanet, chargée des ressources humaines de l'Etat, m’a informé de son souhait de voir une démarche de diagnostic réalisée par un cabinet choisi par sa direction RH se dérouler à la DGDERI, sur la base d’un écho alarmiste de ces deux hauts fonctionnaires du département récemment entendus par l’OPE. Quand bien même il n'y avait à ce moment-là quasiment plus d'absentéisme depuis plusieurs mois dans mon département, j’ai accepté cette démarche pour faciliter l’activité du cabinet dont j’ignorais alors qu’il avait des liens d’intérêts financiers avec l'OPE.
 
Contrairement à ce qu’a soutenu la présidente du Conseil d’Etat en conférence de presse, la consultante n’est en effet pas « une experte indépendante » puisqu’elle est régulièrement mandatée par l’OPE pour donner des cours de management à l’Etat (information figurant dans le catalogue des cours de l'Etat).
 
Par ailleurs, la consultante a fait passer des entretiens d’une demi-heure, seule, sans expliquer sa méthodologie aux 18 collaboratrices et collaborateurs interrogés les 14 et 15 octobre 2020. Elle en a fait le récit d’une série non exhaustive de ressentis et de jugements de valeur, parfois insultants et toujours anonymes, dont on ne sait pas s’ils émanent d’une ou deux mêmes personnes, ou de toutes les personnes interrogées.  
 
La consultante a également bafoué le droit d’être entendu, car pas une seule fois elle n’a cherché à m’interroger après le début de ses travaux. Exactement les mêmes ressorts et dysfonctionnements qui avaient finalement donné raison à un magistrat neuchâtelois dans un dossier similaire : https://www.lematin.ch/story/le-tribunal-cantonal-donne-raison-a-legrix-694829526007
 
Ce «diagnostic» ne respecte donc pas les règles les plus élémentaires de procédure décrites par la société suisse d’évaluation Seval (que vous trouverez ici), qu’il s’agisse du droit d’être entendu, de l'indépendance du cabinet ou de l’obligation de motiver les décisions sur la base de faits vérifiés/preuves, notamment.
 
Comment peut-on imaginer que la deuxième partie des auditions, tenues à début novembre, se soient passé sans pression et sereinement, dans le contexte médiatique actuel ? Quelles garanties de confidentialité peut être donnée aux personnes auditionnées ? Comment accorder la moindre crédibilité à un rapport final dont les conclusions sont déjà livrées de façon péremptoire dans le rapport intermédiaire ?
 
Rien que sur les pratiques contestables et contestées de ce cabinet de consulting RH, la Commission de gestion du Grand Conseil devrait intervenir afin que l’examen des circonstances entourant le taux d’absentéisme constaté puisse se réaliser dans un contexte serein et propice à la recherche réelle d'améliorations. 
 
La suite du traquenard
 
La consultante décide ensuite unilatéralement de remettre toutes affaires cessantes un rapport de diagnostic intermédiaire à ma collègue chargée des ressources humaines le mardi 20 octobre, transmis à la Présidente du Conseil d’Etat et à la Chancelière d’Etat dans la foulée. Siégeant physiquement en urgence sur les questions liées au Covid le jeudi soir 22 octobre, le Conseil d’Etat n'est pas saisi de ce rapport.
 
Si le dossier était vraiment urgent, avec risque de péril physique – "létal" ! - pour certains collaborateurs, pourquoi ne pas avoir profité de la séance du 22 octobre pour traiter le point, alors que deux membres du Conseil d’Etat avaient connaissance du contenu de ce rapport intermédiaire ? Au contraire, le document m’a été transmis le mardi 27 octobre en début de soirée seulement, lors d’une rencontre avec la consultante, le directeur général de l’OPE et la conseillère d’Etat mandante, sans aucune annonce des intentions pour le Conseil d’Etat.
 
La décision injustifiée du Conseil d’Etat
 
Le mercredi 28 octobre au matin (08h30), le document a été remis à tous les membres du Conseil d’Etat dans le cadre d’un point rajouté à l’ordre du jour la veille au soir, pour lecture immédiate, audition immédiate de l’auteure, et discussion immédiate, avec décision de me retirer mon département. Le projet d’arrêté le prévoyant m’a été remis dans le courant de la discussion, accompagné d’un long projet de communiqué de presse, ce qui démontre que tout avait déjà été conçu par avance. Et une fois encore, le droit d'être entendu a été bafoué. 
 
Le jour même de la décision du Conseil d’Etat, à 07h25 sur les ondes, la RTS radio annonçait la démarche de diagnostic et esquissait les angles de son contenu qui avait été transmis à la presse, en violant au passage le secret de la procédure et la protection de la personnalité des collaboratrices et des collaborateurs.
 
Les conséquences politiques 
 
Alors que Genève est désormais la région la plus touchée d’Europe par le coronavirus, le Conseil d’Etat décide, de manière arbitraire, de m’ôter toute attribution de service, freinant ainsi tous les projets en court. Ces mêmes conseillers d’Etat, en retirant à un membre de l’Exécutif le reste de ses attributions et responsabilités sur la base du diagnostic partiel et partial d’un cabinet de consulting RH, ont commis un hold-up politique sans précédent, porté atteinte aux droits et obligations résultant de l’élection populaire et – pire - ralenti les projets d’aide en cours, pour les entreprises et les salarié-e-s, et ceci en pleine crise économique et sociale. Voilà ce que je ne pouvais pas laisser passer.
 

  
NB : Les deux hauts fonctionnaires précités, dont l'un avait été détaché à mi-octobre en renfort dans un autre département et l'autre était sous certificat médical de longue durée depuis le début octobre, sont miraculeusement revenus au département dans les trois jours qui ont suivi ma mise à l'écart…

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