La faim justifie les moyens

 

Genève est le théâtre dune crise sociale en gestation, que l'on peut combattre avec des emplâtres et en sagitant publiquement. Pourquoi ne pas plutôt sattaquer sérieusement au problème structurel de cette précarité, en appliquant notamment avec énergie les plans de lutte contre le travail au noir, contre l’exploitation de la force de travail et contre les réseaux d’immigration illégale?

Depuis plusieurs, la visibilité de la pauvreté à Genève rappelle qu’au sein de notre canton il existe un nombre important de personnes qui survivent difficilement tout en travaillant très dur. Conséquence directe de la crise sanitaire et de son impact économique, l’apparition de longues files d’attente aux Vernets, pour obtenir un sac alimentaire, interpelle, dérange et/ou bouleverse (c’est selon) à de multiples égards. Hier encore, ce ne sont pas moins de 2600 sacs de vivres qui ont été distribués par la Caravane de la Solidarité, une association de bénévoles aussi généreux que réactifs.

Qui sont les bénéficiaires? En premier lieu, des sans-papiers issus de l’économie domestique, de la restauration ou de la construction. Pour moitié, selon les HUG et Médecins Sans Frontières qui ont réalisé un sondage sur place. Mais aussi, et malheureusement en nombre croissant, des résident-e-s - souvent des familles – et des étudiant-e-s, dont les revenus ont subitement baissé de 20%, voire davantage, en raison de l’arrêt de leur activité professionnelle ou de leur mise au chômage partiel, et qui faute d’économies ou d’aides financières externes n’arrivent plus à joindre les deux bouts.

Interpeller les grandes enseignes de distribution

Plutôt que de parler abusivement de «crise alimentaire» - on n’est ni dans une situation de famine ni dans un cas d’intoxication - il faut dire clairement qu’il s’agit d’une crise sociale en gestation. Cette situation de précarité touchait déjà quelque 3000 personnes avant la pandémie; elle en concerne maintenant plus de 10'000 sur notre territoire. Elle reflète donc une réalité en augmentation, étroitement liée à la situation économique de notre canton. Autrement dit, le mal est profond et les symptômes l’accentuent.

Alors, on peut le combattre avec des emplâtres. On peut concentrer les moyens sur la manne publique pour l’achat et la distribution de vivres. On peut s’agiter publiquement sur «l’urgence alimentaire» en s’épargnant d’interpeller les grands acteurs privés de la distribution sur leurs efforts - inversement proportionnels à la progression de leur chiffre d’affaires ces dernières semaines - en matière de solidarité. On peut le faire en invoquant le «partage» à coup de selfies

Préserver la dignité des personnes

Mais on peut surtout s’attaquer sérieusement au problème structurel de cette précarité qui siffle depuis longtemps dans la bouilloire sociale, pour peu qu’on tende l’oreille ou qu’on y soit confronté. Cela suppose qu’on enlève les boules Quies, qu’on sorte de l’hypocrisie et qu’on applique avec énergie les plans de lutte contre le travail au noir, contre l’exploitation de la force de travail, contre les réseaux d’immigration illégale. Cela suppose aussi que les personnes qui emploient ces hommes et femmes dans l’économie domestique les rémunèrent décemment. Comment, à Genève, peut-on entendre qu’une nounou est payée 6 francs de l’heure?! Idem dans certains secteurs de l’économie privée qui abusent de la vulnérabilité de certain-e-s travailleurs-euses.

Personne ne devrait avoir faim dans notre pays, et surtout pas des enfants. La solution passe sans doute par une aide immédiate avec un effort accru du secteur alimentaire privé, dans une configuration où la dignité des personnes est en jeu, et où personne ne devrait plus patienter des heures dans la rue pour obtenir le minimum vital. Mais au-delà de l’enjeu d’une action politique immédiate, c’est bel et bien une action politique de fond, sur le statut légal et la revalorisation du revenu, qui est attendue.

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