Retours de permanence : 3 parcours et 1 piste


La permanence que j’évoquais la semaine passée ne désemplit pas. Cette semaine, j’ai reçu 41 personnes (exception faite du mercredi consacré à la séance du Conseil d’Etat). 41 situations singulières qui font prendre conscience de l’ampleur des difficultés traversées. La crise que subit la population nécessite plus que jamais de penser et d’agir différemment. Prenons trois exemples frappants de femmes entrepreneures courageusement déterminées à rebondir, et une piste très concrète pour avancer.

La première est jeune femme active dans le domaine littéraire, romancière et dessinatrice, mais aussi enseignante dans le privé avec le statut d’indépendante. A ce titre, elle touche 185.- francs par mois (!) d’APG depuis le mois de mars. Elle a perçu par ailleurs 5’000.- francs d’aide culturelle sur sept mois (mars - octobre) sans aucune explication quant à  la base de calcul. Elle est épuisée par les démarches administratives et ne voit pas le bout du tunnel avec l’arrêt de ses cours.

Elle a toutefois un projet de basculement intégral de ses cours sur une plateforme en ligne, avec une clientèle prête à la suivre, dans un créneau très spécifique. Elle va donc monter son projet et se faire appuyer pour cela par la Fondation d’aide aux entreprises (FAE) en essayant de décrocher un petit capital de départ à investir dans sa plateforme; elle a juste besoin d’un coup de pouce au démarrage et d’un appui technique que pourrait lui apporter un  jeune rencontré à la permanence la semaine précédente.

Le poids des charges fixes incompressibles

La deuxième est coiffeuse; native de Genève, elle a une formation en apprentissage. Elle a réalisé son rêve il y a deux ans et demi en ouvrant son salon de coiffure sous forme de Sàrl aux Eaux-Vives. Pour conserver l’employée qu’elle a embauchée, elle s’est mise à temps partiel et a décroché un job temporaire de six mois à la Poste, malheureusement résilié en fin d’année passée. Elle s’octroie un salaire mensuel de 1’300.- francs et bénéficie du soutien de ses parents, sans qui elle ne serait pas en mesure de payer ses factures.

Son enjeu principal réside dans l’adaptation à une clientèle qui se déplace moins en ville (-40% de chiffre d’affaires) notamment en raison du télétravail, et qui demande de plus en plus un service de coiffure  à domicile. Son inquiétude porte sur la concurrence de coiffeurs/euses non déclaré-e-s qui casseraient les prix et sur la difficulté d’assumer l’augmentation de son employée due au salaire minimum (500.- francs de plus à sortir par mois). Elle compte sur une aide ponctuelle de l’Etat pour les charges fixes.

La pression des fournisseurs de marchandises

La troisième exploite un kiosque qu’elle a racheté avec son mari il y a six ans, en libérant son deuxième pilier. Ce kiosque a malheureusement perdu 90% de sa clientèle avec le basculement total en travail à distance des institutions internationales voisines. Elle a obtenu un « prêt Covid » au printemps, entièrement consommé depuis, et un soutien complémentaire sous forme de prêt sans intérêt. Elle doit consacrer beaucoup de temps pour faire admettre la demande de RHT pour son employée.

A cours de liquidités et pressée par ses fournisseurs de payer ses stocks par avance, elle hésite à se séparer de son employée et à assumer seule l’exploitation de son kiosque, mais elle sait que cela ne résoudra pas son problème de baisse massive de la fréquentation de son commerce. Elle craint pour ses charges personnelles, en particulier pour son logement. Elle attend des versement concrets avant la fin du mois, étant maintenant reconnue comme « cas de rigueur ».

Besoin de considération et de cohérence

Les annonces de mercredi, par le Conseil fédéral, n’ont pas vraiment rassuré ces trois femmes, ni les autres personnes que j’ai reçues. Pas tant en raison de l’absence de nouveaux crédits pour couvrir l’extension des cas de rigueur aux entreprises de tous secteurs économiques, et tributaires de 20% de perte de chiffre d’affaires au minimum. Mais plutôt en raison du fait que les annonces ne passent plus car elles ne sont pas suivies d’effet, en sus d’être difficiles à comprendre.

Les incohérences entre les commerces fermés et ceux qui peuvent rester ouverts sont nombreuses. Une communication qui qualifie d’essentiels ou de non essentiels les commerces heurte celles et ceux dont l’entreprise est toute leur vie et leur identité. Les sommes réellement reçues jusque-là ne sont pas suffisantes. Alors qu’elle en a les moyens, la Suisse est le pays de l’OCDE qui a été le moins généreux dans son soutien aux entreprises. Et les critères d’attribution des fonds sont pour le moins nébuleux, avec des différences cantonales difficilement compréhensibles qui font monter un sentiment d’arbitraire et d’inégalité de traitement peu habituel. 

Une logique d’indemnisation

C’est dû notamment au fait que le système d’aide porte mal son nom et repose sur une analyse de l’été passé. On envisageait alors des « cas de rigueur » pour « aider » sur la base du chiffre d’affaires des entreprises circonscrites à quelques domaines d’activité. Or aujourd’hui, le spectre des sociétés concernées est passé de l’exception à la règle, et se base sur une fermeture généralisée. Mais on en est resté au dispositif du niveau précédent, sans s’adapter à la nouvelle situation.

Je préconise de poursuivre les « cas de rigueur » avec les domaines identifiés l’été passé, car le travail a déjà été fait pour eux. Et de basculer dans une logique simple et pragmatique d’indemnisation des autres entreprises touchées directement ou indirectement par la fermeture décrétée. Autrement dit, l’Etat doit assumer le paiement rapide et intégral des charges fixes incompressibles, allant du loyer aux assurances, en passant par les fluides;  le personnel restant sous RHT.

Une piste concrète pour avancer

Un élargissement des cas de rigueur sans simplification des versements, voire un mélange des bénéficiâtes de ceux-ci, promet des conflits sans fin, générés par un sentiment d’inégalité de traitement qu’il sera très difficile de désamorcer, mais surtout engendrera une lenteur au versement des sommes attendues qui videra les entreprises concernées de leur substance et de leurs emplois. Sans oublier le chevauchement des aides non coordonnées qui achèvera le sentiment de pagaille.

En mettant sur pied avec les nombreux-euses professionnel-le-s financier-ère-s de notre canton, actifs/ves, en recherche d’emploi ou retraité-e-s, une grande opération de validation des frais fixes, on pourrait imaginer un versement rapide de sommes justes, basées sur un calcul simple. Il s’agit d’une solution ciblée et pragmatique à mettre en place, comme ce que ce que j’ai soumis à mes collègues depuis plusieurs mois : un point d’entrée unique pour les entreprises et indépendant-e-s. L’Etat doit aux entrepreneur-e-s un service simple et rapide, pour mieux rebondir une fois l’outil de travail consolidé.

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