Moi, Tomas N., 29 ans, Genevois, restaurateur abandonné


Cette semaine, la newsletter est un peu différente. J’ai voulu donner la parole à un jeune restaurateur genevois rencontré jeudi à la permanence économique. Son témoignage m’a marqué à plus d’un titre. D’abord parce qu’il exprimait clairement le sentiment général d’abandon des commerçant-e-s et des entrepreneur-e-s, dont beaucoup m’interpellent quotidiennement. Ensuite parce qu’il émanait d’un jeune chef d’entreprise qui a eu le courage de tout risquer pour entreprendre. Enfin parce que s’il avait vraiment besoin d’être écouté, j’aimerais maintenant qu’il soit entendu.

Je m’appelle Tomas Navalho. J’ai bientôt 30 ans. J’ai été formé à l’école genevoise et je suis fier de mon diplôme de l’Ecole supérieure de commerce. A la sortie des études, j’ai rejoint la société familiale active dans la restauration, dans des circonstances personnelles compliquées où il a fallu épauler ma mère, qui s’est retrouvée subitement seule dans la gestion de plusieurs restaurants à Genève.

L’amour de la cuisine et de la restauration

J’ai toujours aimé la restauration, autant pour la dimension du service à la clientèle que pour l’aspect cuisine. Mexicaine, la cuisine. Malgré mes origines portugaises. Les aficionados du Chat rouge (de l’époque) de la rue Voltaire s’en souviendront. Ils se souviendront aussi que l’enseigne a fermé puis a été reprise. On a connu les difficultés, la faillite et la galère en famille, ma mère, mon frère et moi. On sait ce que c’est de tirer le diable par la queue.

Alors quand j’ai pu monter ma Sàrl, en 2018, en vue d’ouvrir ma propre enseigne, à la Jonction, je savais déjà que ce serait très dur. Du travail sans compter mes heures : pas de vacances, une clientèle à conquérir, une réputation à forger et à tenir. Mais également la satisfaction d’entreprendre, de gérer une affaire, de voir le chiffre d’affaires progresser, mais surtout de pouvoir partager mon rêve avec mes clients. Tout ça aussi grâce à un prêt d’amorçage de la Fondation d’aide aux entreprises (FAE) et à l'octroi d'un crédit par l'UBS, qui représentaient le sésame pour démarrer.

Une perte de confiance

J’y ai cru. Et j’aimerais y croire toujours. Mais depuis mars 2020 la confiance s’érode. Chaque semaine un peu plus. J’en ai vraiment marre de ces conférences de presse gouvernementales qui se succèdent les unes aux autres, sans aucune empathie ni réelle volonté de rassurer. Chaque mercredi, j’ai l’impression de revivre le même match de foot, canton contre Confédération. Avec l’économie réelle comme ballon. Et les commerçants sur le banc de touche, abandonnés à leur sort.

Dépendant maintenant entièrement des finances de ma compagne (ainsi que celles de mon petit frère qui jongle entre les études et un emploi), je reçois avec fatalisme les factures des services industriels, de la TVA, et toutes celles dites « charges incompressibles », sans comprendre pourquoi l’Etat nous ferme d’un côté et nous saigne de l’autre. Les aides n’arrivent pas, et je ne pourrai pas tenir plus de deux de mois la tête hors de l’eau avec mes deux employés. Les prochaines lettres viendront sans doute de l’Office des poursuites et faillites. Et le courrier que je redoute de recevoir, c’est celui de l’Hospice général. 

« Ce que je veux dans ma vie, c’est bosser »

Ce que je veux dans ma vie, c’est bosser. Entreprendre. Et avoir des politiciens qui donnent envie de les suivre, pas des pleurnichards qui se renvoient la balle. J’ai toujours pu compter sur ma famille, mon entourage ainsi que sur mes clients qui, malgré la situation difficile, continuent à être solidaires et de croire en mes rêves. Je pense avoir réussi à atteindre mon objectif le plus précieux : celui d’avoir créé un lieu HUMAIN, où les gens ne viennent pas simplement « bouffer » mais viennent y laisser leur empreinte.

Malheureusement j’arrive à bout, l’attente se fait longue et je demande aujourd’hui un minimum de considération. Si je dois tomber, cela sera avec le sourire et la conviction d’avoir tout donné mais avec un goût amer car mon canton ne m’aura pas tendu la main. Je ne quémande pas d'argent, je demande que notre pays nous prenne en considération, même si je n'ai jamais rien attendu du système. Aujourd'hui je demande qu'on nous tende la main et qu'on nous accompagne correctement dans cette période difficile. Nous attendons des réponses et des solutions depuis bien trop longtemps, l'attente de ces derniers mois est un poids pour nous. Nos projets se font balayer par des décisions trop longues à déployer leurs effets.

Tous essentiels !

Ce que j'ai, je l'ai conquis par la force de mon travail et à la sueur de mon front. Mais aujourd'hui je me sens abandonné alors que je devrais être rassuré, aujourd'hui je me sens "non essentiel". Or, toute personne a besoin de partager, toute personne a besoin de contacts humains, toute personne a besoin de faire des rencontres, de sortir, d'oublier son quotidien.
Bars, boîtes de nuit, restaurants, théâtres, salles de spectacle etc. nous sommes essentiels. OUI, essentiels! Sans NOUS, l'essentiel disparaîtra.

                                                                                                                                                          Tomas NAVALHO

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