Prison des Dardelles: une planification impopulaire mais nécessaire

 

Porter des projets carcéraux est politiquement ingrat. Dépasser le clivage idéologique traditionnel gauche-droite est le seul moyen pour trouver des solutions sur des dossiers aussi complexes.

Vendredi dernier, la session ordinaire du Parlement genevois avait de quoi être réjouissante avec le soutien aux entrepreneur-e-s et à l’emploi. Les député-e-s ont en effet voté unanimement en faveur du projet de loi dont je parlais dans ma newsletter précédente, pour aider les établissements nocturnes fermés en raison des mesures sanitaires. Mais un autre dossier, porté par mon collègue Mauro Poggia, a été refusé, alors qu’il aurait été utile à la collectivité.

Ce projet, c’est celui de la construction d’un nouvel établissement d’exécution des peines, à côté de la prison de Champ-Dollon, au lieu-dit Les Dardelles. Un projet qui s’inscrit dans une planification pénitentiaire à l’échelle fédérale pour le bon fonctionnement de la chaîne sécuritaire genevoise, dans le droit fil de l’action de la police et de la justice. Mais aussi et surtout un projet fondamental du point de vue de la dignité humaine en lien avec les des conditions de privation de liberté dans notre démocratie.

Toujours trop cher, jamais vraiment utile

Pour avoir la responsabilité de la politique pénitentiaire genevoise durant plusieurs années, je sais combien il est politiquement ingrat de porter des projets carcéraux. Contrairement à un quartier de logement, un centre sportif ou encore un réseau de transports, construire une prison sera toujours trop cher pour certains qui voient dans les standards minimaux un luxe indécent, et inutile pour d’autres qui estiment que construire une prison, c’est avoir la volonté d’augmenter drastiquement les incarcérations.

Le Conseil d’Etat avait voté trois mois après mon arrivée au département de la sécurité, en octobre 2012, une planification pénitentiaire ambitieuse, avec la construction urgente de 100 nouvelles places à La Brenaz qui ont notamment permis d’endiguer la criminalité galopante de l’époque, l’édification de Curabilis qui a enfin permis de prendre en charge les cas de mesures thérapeutiques (malheureusement trop tard pour le drame de La Pâquerette), et Les Dardelles comme clé de voûte.

Respecter enfin les droits humains

Cette nouvelle prison devait permettre de sortir enfin de la sous-dotation carcérale chronique qui a vu Genève condamnée par le Tribunal fédéral à indemniser les détenus entassés dans des cellules indignes d’un État de droit. Elle devait aussi permettre la rénovation de Champ-Dollon (construite en 1978), prison surpeuplée devenue vétuste, dangereuse et insalubre pour les agent-e-s comme pour les détenu-e-s. Elle devait surtout confirmer la raison d’être d’une prison: rendre possible la réinsertion.

Gérer le domaine des prisons, c’est devoir faire preuve d’humilité, c’est respecter des agent-e-s de grande qualité, confronté-e-s tous les jours à une détresse humaine et sociale, en leur donnant un outil de travail digne de ce nom; c’est valoriser le travail essentiel des collaborateurs-trices de toute la chaîne sécuritaire pour la crédibilité de l’ensemble du système de sécurité, en le rendant moderne et transparent; c’est s’engager pour un travail politique de longue haleine, rarement payant au plan électoral.

Cesser la politique de l'autruche

Le rejet du Parlement à une (!) voix d’écart est peut-être la démonstration que sur des dossiers aussi complexes il faudra dépasser le clivage idéologique traditionnel gauche-droite pour trouver une solutionUn tel dossier aurait dû réunir tous les courants politiques, autour des notions de sécurité et de dignité, chères à la gauche comme à la droite. 

Au lieu de cela, une logique court-termiste a prévalu. On le voit dans tous les pays démocratiques, la question des prisons est ardue, souvent impopulaire, mais on ne peut plus se contenter de fermer les yeux sur une réalité qu’on ne veut pas voir. La politique genevoise ne doit pas être une prison mentale, confortable, totalement hermétique aux convulsions de notre société. Et si on ouvrait un peu la fenêtre sur l’extérieur?

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